L'État Nouveau: De Salazar à la Révolution des œillets
Salazar, contrairement à ses homologues tels Hitler, Mussolini ou Franco, n'a jamais porté l'uniforme militaire, pour créer un mythe autour de sa personne, il a dû s'appuyer sur d'autres aspects de sa personnalité. Il est également un orateur déplorable mais un universitaire et un homme intelligent et très cultivé. Sa propagande s'appuiera sur ses origines sociales modestes considérant qu'il s'agit d'un cadeau de la Providence.
Dans un Portugal où les trois quarts de la population est illettrée, Salazar excelle dans l'écriture. La société composée en caste ne laisse que peu d'opportunités pour lui, au vu de ses origines. Il arrive pourtant à intégrer la prestigieuse université de Coimbra et s'inscrit à la faculté de droit, en 1910. Après l'obtention de sa licence en droit, Salazar se spécialise en économie politique.
À cette même époque, le Portugal instaure une République calquée sur le modèle de la IIIème République française et entreprend en 1911, une loi de séparation de l'église et de l'état. Cette mesure vise à restreindre l'influence catholique sur la société portugaise et va créer la colère de la congrégation. Fervent catholique, Salazar fait parti des opposants à cette loi. Salazar adhère et milite au sein du Centre Académique de Démocratie Chrétienne.
En 1916, Salazar obtient un poste en économie politique à l'Université de Coimbra, en tant que professeur.
En 1926, un coup d'État militaire secoue le Portugal. Bien que Salazar n'est pas un militaire, il est rapidement consulté par le nouveau régime. Il devient, le temps d'un délai bref, ministre des Finances avant de retourner enseigner à l'université. Deux années plus tard, en 1928, Salazar fait son retour au gouvernement. Il est de nouveau ministre des Finances. Alors que les finances portugaises sont en déliquescence, Salazar parvient à les redresser en contractant les dépenses publiques et en augmentant les recettes fiscales. Il renforce également les corps d'inspection des finances pour éviter toute porosité sur la corruption. Rétablir les comptes publics vaudra à Salazar l'image du sauveur de la nation sur laquelle s'appuiera sa propagande.
Aux yeux des portugais, le dictateur demeure le général Carmona qui occupe les fonctions de président de la République. En 1932, Salazar devient président du conseil. Une nouvelle étape dans son ascension du pouvoir. Il rédige une nouvelle constitution, adoptée en Mars 1933, pour le Portugal, celle de l'État Nouveau. Malgré son côté dictatorial, le Portugal redevient une République.
Le Secrétariat de la Propagande Nationale censure l'opposition politique et verrouille le débat politique. Le gouvernement mené par Salazar entend abattre le libéralisme politique, dans son régime la politique du parti unique est appliqué. Salazar, bien que sympathisant des régimes fascistes de Mussolini et Hitler, considère ces régimes comme des Césars païens. La religion n'étant pas au cœur des régimes allemand et italien. Salazar entend incarner un autre courant politique, une alternative. Le salazarisme différe en insitant les portugais à continuer leur vie sans se soucier de la politique. La parole de Salazar ne peut être contestée, il est le maître de l'état. Un autre point le différencie d'Hitler et Mussolini, Salazar ne mène pas une politique expansionniste même s'il compte conserver les colonies africaines portugaises, comme le Mozambique et l'Angola. Les colonies lui seront d'ailleurs utiles pour éloigner de Lisbonne des généraux encombrants.
La politique est alors relativement simple, des élections sont organisées mais sans réel choix et les députés sont cooptés par le parti (Union Nationale). Le régime est profondément élitiste et ne cautionne aucune contestation. Pour s'assurer la soumission de son peuple, Salazar instaure des tribunaux et une police politique veillant à ce que l'ordre soit respecté.
Un récit national est élaboré pour vanter la grandeur de l'histoire et du territoire portugais, rappelant les conquêtes coloniales.
Dès son arrivée au pouvoir, Salazar se méfie du voisin espagnol et de ses ambitions expressionnistes. Pourtant, en 1936, quand éclate la guerre civile espagnole, entre Républicains - communistes d'une part et les franquistes nationalistes de l'autre côté, Salazar envoie des troupes en soutien des franquistes. En 1939, un pacte ibérique est signé entre ces deux dirigeants fascistes, le portugais convainc même son homologue espagnol de ne pas prendre part à la seconde guerre mondiale. Salazar permet même, vers la fin du conflit, aux alliés de débarquer sur ses côtes, contre l'intérêt de ses alliés fascistes mais pour préserver son régime.
Fervent anti-communiste, Salazar, dès 1945, se rapproche des USA. Il redoutait plus que tout que Moscou impose sa patte sur toute l'Europe. Durant la guerre froide, il sera un élément essentiel de l'ouest.
Durant les années 50 et 60, les empires coloniaux européens sont traversés , secoués par des soulèvements de peuples réclamant leurs indépendances respectives. En 1961, c'est au tour de l'Angola de la défendre. Pour Salazar, le Portugal n'a pas de colonies mais des provinces outre mer. Pourtant, au début des années 1930, Salazar établit un acte colonial. Cette loi différencie les Portugais métropolitains des Portugais des colonies. Ainsi, il justifie le colonialisme comme une mission civilisationnelle. Suivant les recommandations des États-Unis et de l'ONU, Salazar assoupli la loi en 1950, juste après la seconde guerre mondiale. Les États-Unis et l'ONU entendent défendre l'émancipation des peuples.
Les "Indes portugaises" à savoir Goa, Daman et Diu (enclaves sur la côte ouest de l'Inde), colonisées depuis le XVIe siècle. Après l'indépendance de l'Inde (1947), Nehru exige le départ des Portugais. Salazar refuse, considérant ces territoires comme "provinces ultramarines". Le 18-19 décembre 1961, l'Inde lance une invasion militaire rapide. 30 000 soldats indiens écrasent les 3 000 Portugais. Goa, Daman et Diu deviennent territoire indien en 1961. Le Portugal ne reconnaît la perte qu'en 1974.
Révolution anticolonialiste en Angola (1961). Colonie portugaise depuis le XVIe siècle, l'Angola subit une exploitation intense (café, diamants). En 1961, le régime salazariste refuse la décolonisation,contrairement à d'autres puissances européennes. Début (4 février 1961) : Insurrection à Luanda par le MPLA (Mouvement populaire de libération de l'Angola, marxiste, urbain, mené par Agostinho Neto). Attaques contre prisons et postes de police ; répression portugaise brutale (centaines de morts).
Escalade (15 mars 1961) : Soulèvement rural dans le nord par l'UPA (Union des populations d'Angola, plus tard FNLA, ethnique bakongo, dirigé par Holden Roberto). Massacres de colons portugais et travailleurs africains (env. 1 000 morts blancs, des milliers noirs). Réponse portugaise : bombardements, napalm, massacres (20 000–50 000 victimes africaines).
Conséquences immédiates :Guerre de libération (1961–1974) impliquant MPLA, FNLA et UNITA (fondée 1966 par Jonas Savimbi).
Exode de 300 000 colons portugais.
Internationalisation : soutiens cubain/soviétique au MPLA ; USA/Afrique du Sud à FNLA/UNITA.
Issue : Indépendance le 11 novembre 1975 après la Révolution des Œillets au Portugal (1974). Guerre civile suit jusqu'en 2002
En 1959, une grève des dockers survient en Guinée et marque le début d'une lutte anticoloniale contre le Portugal. Le Parti Africain de l'Indépendance à idéologie marxiste est le fer de lance de cette lutte, avec à sa tête Amilcar Cabral. Dans cette même Guinée, en s'appuyant sur les thèses Guévaristes, le mouvement indépendantiste engage la lutte armée, en 1963.
Alors que les indépendantistes se révoltent dans toutes les colonies portugaises, l'État envoie des milliers de jeunes hommes réprimer les velléités d'indépendance et forment des colonisés au maniement des armes. On retrouve, sur fond de tensions sociales, des colonisés se battant pour l'Empire colonial contre leurs compatriotes. Les différentes guerres d'indépendance dureront jusqu'à la chute de l'État Nouveau en 1974.
En 1968, le dirigeant portugais affaibli par la maladie, il est victime d'un AVC, il doit renoncer au pouvoir, bien qu'il reste en coulisse. Il décède deux ans plus tard. Caetano lui succède, et dans la lignée de Salazar, refuse d'accorder l'indépendance aux colonies portugaises. Dans les universités portugaises, le gouvernement de Caetano recrute des sous-officiers chargés du commandement de l'armée dans les colonies. Ce sont, pourtant eux, qui répondront un discours anti-colonial dans les troupes.
Rapidement, la politique coloniale du gouvernement est fortement discuté dans les colonies, par l'armée. Les troupes Portugaises s'enlisent et les combattants indépendantistes de Cabral reçoivent le soutien militaire des alliés communistes tels le Cuba de Castro, la Chine maoïste ou encore l'URSS.
À cette même époque, et ce depuis 1957, de nombreux portugais quittent leur pays, pour fuir la dictature fasciste de Salazar, et s'installent en France. La plupart vivent dans des bidonvilles, les conditions de vie sont excécrables. Ils acceptent les emplois les plus ingrats, précaires.
En Mars 1974, une première mutinerie éclate mais n'aboutira à rien de concret, elle pose les bases d'une prochaine révolution à venir. Elle survient deux mois après la parution d'un essai politique de Spinola où il explique que le Portugal ne peut remporter cette guerre coloniale. Spinola, ex-gouverneur de la Guinée, et vice-chef de l'état-major des armées, propose non pas d'accorder l'indépendance des colonies mais de leur laisser une certaine autonomie sous la tutelle de Lisbonne. Il propose de dialoguer avec les indépendantistes, ce qui lui vaudra d'être mis à la porte par Caetano.
Les hommes qui tentent de renverser le gouvernement de Caetano sont sensiblement les mêmes qui orchestrent la Révolution des œillets. C'est Otelo qui mènent les opérations, le fiasco de Mars lui permet de faire l'état des corps de l'armée encore fidèles au gouvernement. Otelo décide que le 25 Avril est la date idéale, à l'approche du 1er Mai, fête internationale des travailleurs, les communistes portugais, malgré l'interdiction, tentent toujours de célébrer cette journée. Ce qui fait que les autorités portugaises, notamment la police politique, sont sur le qui vive et sont focalisées sur les communistes.
En préparation de la révolution des oeillets, Otelo obtient de la marine et de l'aviation portugaises qu'elles n'interviendront pas, en faveur d'aucun camps.
Le Mouvement des Forces Armées élabore un programme politique à tendances socialistes qui déplaît à Spinola. Ce programme contient ce que le MFA appelle les 3D, à savoir, Démocratie, Démantèlement et Décolonisation.
Le 25 Avril 1974, quand est diffusée sur les ondes la chanson Grandola Vila Morena de Zeca Afonso, pourtant censurée par le gouvernement, le peuple portugais et les militaires membres du Mouvement des Forces Armées savent que la révolution est lancée.
Quand le début des opérations commence, le MFA appelle la population à rester chez elle. Les civils participeront pourtant à la révolution des oeillets. Il indique également sa volonté de ne pas faire usage des armes. Rapidement, le MFA s'empare des médias et de points stratégiques, Otelo se base dans un camp militaire proche de Lisbonne, il parvient à mettre sur écoute les ministres de Caeteno. Otelo demande également aux médecins de se rendre dans les hôpitaux, au cas où un affrontement éclate entre les soldats du MFA et les militaires fidèles au régime. Les officiers fidèles au MFA parviennent à prendre le contrôle de leurs casernes et se rendent à Lisbonne, leur premier objectif est de s'emparer de la place du commerce, lieu stratégique essentiel. Le gouvernement appelle ses troupes fidèles et leur ordonne d'interpeller les opposants, rien ne se passe. Les hommes du bloc gouvernemental refusent de faire feu sur leurs camarades portugais, certains, d'abord fidèles au gouvernement, rejoignent le camp des insurgés.
Dès le commencement des opérations du MFA, le chef de la police politique en informe Caetano et lui conseille de se rendre au siège de la gendarmerie, en plein cœur de Lisbonne.
Dans la matinée, les évènements s'accélèrent, le Mouvement des Forces Armées arrête les ministres de l'intérieur, de l'armée et de la guerre. Dans la foulée, le MFA forme un gouvernement provisoire jusqu'à la tenue d'élections libres et multipartisme.
Suite à la prise de la place du commerce, les forces du MFA se rendent en direction du siège de la gendarmerie, où est réfugié Caetano. Voyant que le MFA prévoit de renverser le régime, la population de Lisbonne se rend dans les rues soutenir la révolution. Pour mettre la pression sur Caetano, le MFA tire sur la façade de la gendarmerie et , en soirée, Spinola se rend sur place et obtient la reddition de Caeteno.
Alors que le MFA voyait le changement s'opérer avec Costa Gomes, il est introuvable ce 25 Avril. Une fois la reddition de Caeteno actée, Spinola se rend au poste de commandement où Otelo dirige les opérations et se positionne en nouveau leader du Portugal.
En désaccord sur la nouvelle politique à adopter, Spinola et le MFA négocient autour du programme politique des 3D rédigé par le MFA. Spinola insiste et obtient de ne pas accorder l'indépendance des colonies, le MFA obtient, lui, la fin de la police politique, qui ce 25 Avril a tué 5 civils, après qu'un rassemblement populaire s'était formé devant leur siège, elle est maintenue dans les colonies sur demande de Spinola.
Dans les jours qui suivent, plusieurs leaders politiques, exilés durant la dictature salazariste, rentrent au Portugal, suite à la libération de la vie politique, voulue par Spinola et le MFA. C'est le cas de Mario Soares, éminent socialiste et du communiste Alvaro Cuna. Il en est de même pour bon nombre d'artistes portugais, la plupart de ces deux catégories, artistes et politiques, s'exilent en France et reçoivent le soutien de la gauche française. La classe politique française s'exprimera sur la révolution des œillets après la campagne présidentielle.
En 1975, le leader de la gauche socialiste française, François Mitterrand, reçoit dans les landes les dirigeants socialistes des pays de l'Europe du Sud. On y retrouve les socialistes de Grèce, France, Portugal, Espagne et Italie. L'objectif est de renforcer les liens entre ses pays et de proposer une alternative aux socios-démocrates du Nord et de l'autoritarisme du bloc de l'Est communiste.
En Avril 1975, soit un an après la révolution des œillets, se tiennent les élections constituantes. En un an les gouvernements provisoires se sont succédés et le général Spinola, président de la Junte de Salut National, a été poussé à la démission. Le Parti Socialiste de Soares obtient une majorité relative. Néanmoins, la Junte de Salut National conserve le pouvoir exécutif, les 250 députés élus par ces élections doivent rédiger une nouvelle constitution, celle de la IIIème République portugaise.
En Avril 1976, des élections législatives sont organisées et voient la victoire du Parti Socialiste Portugais de Soares qui obtient une majorité relative. En deuxième position, on retrouve le PPD formé par d'anciens proches du régime de Salazar. Le Parti Communiste Portugais arrive en 4ème position derrière un parti centriste.
Certains aspects du salazarisme persistent dans l'esprit de la population. Bien qu'il était peu présent médiatiquement, Salazar a instauré un régime de peur et de surveillance, le corps de chacun était comme prisonnier du régime. Sur scène, pour les acteurs de théâtre, le jeu devait correspondre à la ligne politique du gouvernement. Les classes sociales étaient tenus de tenir leur rang respectif. De plus, bien que la police politique salazariste a été supprimé, elle continue d’œuvrer dans la psyché des citoyens portugais.
Malgré tout, l'art portugais dans sa globalité connaît une grande période d'effervescence, des thèmes comme la sexualité, la liberté le féminisme censurés pendant la dictature sont enfin évoqués.
En 1972, trois écrivaines portugaises (Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho da Costa) sont interpellées après la publication d'un recueil épistolaire féministe et critique du pouvoir salazariste. Il est considéré par le régime dirigé par Caetano comme attentatoire à la bonne morale et interdit l'ouvrage. Les 3 autrices reçoivent un soutien international, notamment le couple Sartre-Beauvoir. Elles finissent par être acquittées un mois après la Révolution des œillets.
Au lendemain de la révolution et donc après leur acquittement, les trois femmes de lettres ont connu des parcours différents. Maria Isabel Barreno s'engage au sein du Parti Communiste Portugais et du Mouvement de Libération des Femmes, tout en continuant sa carrière d'écrivaine, elle publie des œuvres engagées. Maria Teresa Horta quant à elle se bat pour les droits des femmes, dont le droit à l'avortement. Elle devient une poétesse mondialement reconnue pour sa plume militante. La troisième Maria Velho da Costa comme Maria Isabel Barreno s'engage au PCP mais s'éloigne des mouvements féministes sans perdre son idéal et entreprend une carrière brillante dans la littérature.
En 1975, soit un an après la Révolution des œillets, l'écrivaine française Charlotte Delbo écrit en 1975 la pièce de théâtre Maria Lusitania. Delbo est connue aussi bien pour son œuvre littéraire que pour son engagement dans la résistance lors de la seconde guerre mondiale. Cette pièce nous fait (re)vivre les dernières années de la dictature salazariste, avec un panel de personnages charismatiques qui célèbrent la chute de cette dictature et la transition entre la peur et la liberté.

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